Auteur, auteure ou autrice ? | Page Seauton | Audrey Alwett

Superbe article que je m'empresse de me copier-coller ici et de diffuser (à lire d'urgence), merci à l'autrice, AUDREY ALWETT

Auteur, auteure ou autrice ?


Il y a trois jours, une petite fille de 8 ans m’a posé cette question : « On dit auteur, autrice ou auteure ? »

Quelques mois plus tôt, j’aurais probablement traité la question par-dessus la jambe. Je lui aurais dit qu’après avoir longtemps écrit « une auteur », je m’étais mise à écrire « auteure », sans grande conviction, ignorant encore que c’était l’orthographe québecquoise. Depuis, j’écris autrice. Ça ne m’est pas naturel, et je me force un peu. En voici la raison, tournée pour une petite fille de huit ans :

« Ta question est extrêmement intéressante. Sache qu’on peut écrire les trois, et que les trois orthographes sont défendables. Cependant, chaque orthographe défend une idée différente. Ce n’est pas du tout anodin de dire auteur, auteure ou autrice.



Au XVIIe siècle, on disait auteur/autrice comme on dit aujourd’hui acteur/actrice. D’ailleurs, c’est la même étymologie : augere. À l’époque il y avait des cercles intellectuels de femmes très puissants et qui avaient leur mot à dire en politique et bien sûr, c’était aussi le cas du clergé. Le Cardinal de Richelieu, représentant du clergé qui était fort jaloux de l’influence de ces dames, voulait les faire disparaître pour pouvoir gouverner tranquillement (je simplifie un peu, mais tout cela est vrai, la « querelle des femmes » a d’ailleurs commencé, sous ce nom, un siècle plus tôt). Aussi, il a créé l’Académie Française et a ordonné à cette institution, composée uniquement d’hommes, d’effacer les femmes de la vie intellectuelle et politique. Les hommes de l’Académie Française n’étaient pas franchement qualifiés pour ce travail (un peu comme aujourd’hui, oups, je l’ai dit). Ainsi, il y avait des tas d’hommes qui n’avaient jamais écrit un livre de leur vie, et qui n’ailleurs n’avaient aucune compétence que ce soit en littérature comme le petit cousin de 17 ans de Richelieu, nommé là, comme beaucoup d’autres pour des histoires d’échanges de services. Mais tout ce petit monde s’est cru très expert et s’est pris très au sérieux (sauf sur la question du dictionnaire supposé être la raison d’être de l’Académie et sur lequel personne n’a strictement rien branlé pendant des décennies). À l’époque, on disait philosophesse, poétesse, autrice, mairesse, capitainesse, médecine, peintresse, etc. Tous ces mots ont été supprimés pour ne garder que leur masculin : philosophe, poète, auteur, maire, etc. C’est une façon de dire aux femmes qu’elles n’avaient pas de légitimité dans ces professions. Qu’elles n’avait rien à faire là, si tu préfères. On voulait les renvoyer à la vaisselle et à l’éducation des enfants. Par contre, on a gardé « l’actrice » qui utilise son corps, car la femme ne devait plus être qu’un corps, elle n’avait plus le droit d’être un cerveau. ça ne posait pas de problème non plus de garder des professions comme « boulangère » qui ne représentait pas de pouvoir intellectuel et donc pas de menace pour le clergé.



Cette réforme est allée très loin, puisqu’on a changé le genre de nombreux noms communs à cette époque. Tout ce qui était négatif, mou ou soi-disant féminin devait être associé aux femmes (« la douceur »). Tout ce qui était positif ou puissant devait être associé aux hommes (« le pouvoir »). C’est pour cela qu’on dit UNE erreur : ce mot était initialement masculin. Évidemment, ça n’a pas marché pour tous les mots ! Les Français n’ont jamais accepté de dire « la caprice » par exemple, comme l’Académie Française le préconisait. Il y a aussi des mots qui ont posé problème. Jusqu’à Napoléon, on avait décidé que « l’aigle » serait féminin, du fait de sa finale en « e ». On disait une aigle. Problème : Bonaparte voulait en faire son emblème ! Comme le féminin était estimé dégradant, on a changé le genre de l’aigle qui est devenu masculin.

C’est aussi de cette époque que vient la règle du masculin dominant dont tu as dû déjà entendre parler. Le grammairien Nicolas Bauzée a ainsi dit : « le genre du masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » C’est pour cela que nous avons cette règle pas du tout logique en France qui veut que l’on écrive : une chaussette, une culotte, un pantalon, une paire de lunette et une chaussure noirs. Au masculin. Alors qu’il aurait été bien plus simple de conserver la règle de proximité qui prévalait auparavant. C’était pour expliquer aux femmes qu’elles n’avaient aucune importance.



Au XVIIe siècle, les femmes célèbres comme Marie de Gournay, Jacqueline de Mirmont ou Charlotte de Brachart ont beaucoup protesté, elles ont écrit de nombreuses lettres publiques qu’on a aujourd’hui retrouvées. Malheureusement, elles aussi ont été effacées de l’histoire. Si tu n’entends pas beaucoup parler de femmes célèbres à l’école, ce n’est pas parce qu’elles n’ont pas existé, c’est parce qu’elles ont été effacées par des hommes, comme Besherelles ou Diderot, qui voulaient garder le pouvoir pour eux. L’Histoire a été réécrite. « Comment ont-ils fait ? » te demandes-tu. C’est simple : ils ont refusé catégoriquement de les faire apparaître dans leurs grammaires et encyclopédies, leur préférant des auteurs masculins parfois très médiocres quand ils manquaient d’exemples, alors même que dans ces siècles, les best-sellers étaient écrit par… des femmes. Comme on s’est appuyés sur leur travaux pour définir qui méritait d’être connu pendant ces siècles, les femmes ont disparu de l’Histoire et de ton programme scolaire par la même occasion.

Pour revenir à ta question, dans les années 90, au Québec qui est une nation francophone moins sexiste que la France, on s’est aperçu de cette injustice qui consistait à nier les femmes en déclinant tous les mots au masculin. Mais toutes les recherches que je viens de t’expliquer n’étaient pas encore très populaires. On avait oublié pourquoi la grammaire et les mots effaçaient les femmes : on pensait même que c’était le hasard ! Alors, on a inventé « auteure », c’était une petite revendication discrète et assez moderne. Auteure est un néologisme, c’est à dire un mot nouveau. La Suisse et l’Afrique Francophone, de leur côté, n’ont aucun problème avec le terme « autrice ».

En France, les gens qui ne savent pas tout ce que je viens de t’expliquer ou bien qui sont misogynes (c’est à dire qu’ils détestent les femmes), préfèrent dire et écrire « auteur ». Ils pensent qu’autrice est un barbarisme. Moi je pense que ce qui est barbare, c’est de vouloir effacer la moitié de l’humanité : les femmes.

Donc, même si j’ai autrefois pu écrire « auteur » et même « auteure », j’écris aujourd’hui autrice car je revendique mon droit en tant que femme à exister et à écrire des livres. Ce n’est pas facile, car ça ne me vient pas facilement, mais j’essaie de faire l’effort, et peu à peu… je m’habitue.

J’espère que tu revendiqueras ce droit, toi aussi.

De toute façon, il est important que tu saches qu’une langue vivante évolue et se transforme tout le temps. C’est normal. Une langue qui ne change plus est une langue morte qu’on ne parle plus.

Il est important que tu connaisses ta langue et apprennes son histoire. Quand ce sera fait, tu pourras faire comme moi et d’autres auteurs/autrices, penseurs, universitaires, etc, et essayer d’imposer ta vision de la langue. Tu l’as compris, les mots ont un grand pouvoir. C’est pour cela que Richelieu s’est immiscé dans un domaine où il n’avait a priori rien à faire. Et c’est pour ça que la question que tu as posée est très importante. J’espère que tu garderas ma réponse en mémoire. Je suis consciente que je t’écris des choses compliquées et que tu ne comprendras peut-être pas tout immédiatement. Mais je sais que tu es une petite fille très intelligente et que tu réfléchiras à tout ça. »

C’était la version pour enfants, si vous voulez la version pour adulte, sans simplification outrancière, je vous invite à lire ces deux articles :

http://siefar.org/wp-content/uploads/2015/09/Histoire-dautrice-A_-Evain.pdf

http://sexes.blogs.liberation.fr/2015/05/31/le-mot-autrice-vous-choque-t-il/

Après quoi, j’espère que vous ne direz plus jamais « rho la la ! mais c’est un hasard si le masculin l’emporte sur le féminin ! » ou bien « mais elles ont pas d’autres chats à fouetter, ces féministes ? ». De mon côté, j’estime au contraire qu’il n’y a pas de combat plus urgent, car le langage est la base de tout. « Au commencement était le verbe » disent même certains. Et je crois que l’absence d’égalité dans le monde est la cause d’à peu près tous ses maux.

Edit 25 février 2017 : cet article ayant un succès qui me laisse encore perplexe, et n’ayant plus l’occasion de le matraquer sur ma page FB, je précise que vous trouverez toutes ces informations et bien d’autres détails encore plus croustillants dans deux petits chefs d’oeuvre aux éditions iXe, avec la très grande universitaire Éliane Viennot en tant qu’autrice : Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! et L’Académie contre la langue française – le dossier « féminisation ». Je précise que ce sont des travaux universitaires et que la moindre ligne est donc étayée par une source.

Via La river


❝ 2 commentaires ❞

1  GODLUCKY le

Il voudrait l'envoyer à tou.tes pour mettre dans leurs petits souliers pour Noyeux Joël. Merci warriordudimanche

 
2  GODLUCKY le

Je serai content de lire d'autres articles et d'être formé à l'usage des cônes d'émotions...

 

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