Mardi 21 Septembre 2021: toujours aucune amélioration à l'horizon, mon capitaine

Il ne faut pas écrire quand on est en colère: on a tendance à sur réagir et à laisser parler ses sentiments exacerbés.

Mais bon, là, si j'attends de ne plus être en colère, j'ai l'impression que ça va prendre longtemps.

Attention, billet un peu long risquant de provoquer des haut-le-coeur

Explication

Il y a quelques jours, en revenant vers la salle des profs, je trouve deux élèves de troisième - deux jeunes filles, ce détail a son importance - en train de rédiger un texte apparemment très long, installées sur la table se trouvant dans le hall d'entrée devant le bureau de la CPE. Connaissant les deux élèves pour les avoir eues en cours l'année dernière, je m'étonne de leur présence à cette table, d'ordinaire réservée aux élèves exclus ou punis.

En effet, il s'agit de deux élèves studieuses, matures, attachantes, souriantes... toujours agréables et bien élevées, jamais discourtoises, toujours appliquées et soucieuses de leur scolarité, jamais impliquées dans les embrouilles coutumières de leurs camarades. Que qui que ce soit ait pu trouver quoi que ce soit à redire à leur sujet m'étonne tellement que je m'arrête pour m'enquérir, tout sourire, de la raison de leur présence à cet endroit: elles me rassurent en me disant qu'elles ne sont pas punies mais que la vie scolaire leur a demandé d'écrire un rapport sur un incident.

L'une d'entre-elles a subi les insultes d'autres élèves du collège, majoritairement des garçons, sous prétexte qu'ils n'aimaient pas leur tenue. Quand je dis insultes, on peut y trouver le florilège habituel des mous du bulbe fiers d'avoir un zizi du genre : «je vais te bouffer la chatte», «je vais te fourrer le cul», «salope» etc. Vous voyez... du Rimbaud.

Il me semble bon d'ajouter que dans le lot de ces gentlemen se trouvent plusieurs cas à qui la direction a laissé la bride sur le cou par peur des parents même après des violences verbales, des menaces envers les élèves et les adultes, des provocations à n'en plus finir, de fausses lettres d'excuse dans lesquelles l'élève se foutait ouvertement de nous etc. En gros, à l'opposé du spectre par rapport à nos deux victimes.

C'est déjà suffisant pour s'énerver mais j'ai plus...

Confiant dans l'équipe de mon collège, je rassure les élèves, leur témoigne mon soutien sans réserve et leur conseille de ne rien omettre dans leur rapport.

Plus tard, je croise un des assistants d'éducation qui m'explique qu'il n'a même pas eu le temps de lire les rapports tant la direction s'en est emparé rapidement... puis il m'annonce que les filles ont été reçues par l'infirmière scolaire et par la direction. Individuellement.

Oui, l'équipe de direction au grand complet - fait très rare chez nous - reçoit des mômes individuellement... vous sentez venir le procès ou pas ?!

Et si je vous dis que l'infirmière à reproché à la gamine - à la victime donc - de ne pas porter de soutien-gorge, vous en êtes où dans l'indignation ?

Et si j'ajoute que le chef d'établissement lui-même aurait dit qu'«elles l'ont un peu cherché» ? Devant la môme.

Les petites sont sorties en pleurant, on se demande bien pourquoi.

«mais avaient-elles une tenue indécente ?» demandez-vous (ou pas)

Bon, alors, déjà OSEF de ce que les autres pensent de leur tenue du moment qu'elles ne font pas d'exhibitionnisme.

Mais je vais répondre malgré tout: NON. DÉFINITIVEMENT NON. CATEGORIQUEMENT NON.

Premièrement, seule l'une d'entre-elles s'est vue reprocher sa tenue: l'autre n'a fait que soutenir son amie face à l'injustice et contre tous les autres. Au lieu de reconnaître son mérite et de valoriser son courage, l'infirmière lui aurait dit «mais toi tu mettrais ça ?» histoire de la culpabiliser et de tenter de pourrir la relation. J.O.I.E.

Pour être clair: la gosse portait un legging et un T-shirt un peu moulant. Mais hélas pour elle, elle ne portait pas de soutien-gorge. Et du coup, comme son haut était moulant... voilà.

Il faut savoir - même si là aussi OSEF dans le principe - la petite n'a absolument aucune intention de se «sexualiser» ou de «provoquer» (rien que ces termes m'agacent tant ce sont ceux qu'on trouve chez ses adversaires). Pire: issue d'un milieu très modeste, elle n'a probablement pas beaucoup de vêtements... ses parents habillent la famille chez les fripiers ou dans les marchés du coin. On n'est pas en train de parler d'une enfant gâtée qui porte pour deux barres de fringues sur elle mais d'une petite pauvre qui voit dans l'école sa seule chance d'ascenseur social... (ça me fout envie de pleurer)

Et les agresseurs dans tout ça ?!

Haha. Ils ont été reçus.

Voilà. c'est la seule info.

Là, à J+4, aucune sanction n'a été prise à l'encontre des bourreaux.

L'indignation au max

J'en suis à un stade d'indignation que je n'avais pas atteint depuis très longtemps: j'ai un attachement affectueux avec mes élèves, je les regarde tous comme on regarde des enfants qui grandissent, avec une ferme bienveillance et, toujours, à l'esprit, les valeurs d'égalité, de fraternité et de liberté. Je les regarde avec la même bienveillance et le même attachement qu'ils soient garçons, filles, pauvres, riches... ces aspects ne comptent pas à mes yeux: seule la relation que je tisse avec eux importe, ainsi que les valeurs qui encadrent ces relations.

Du coup, je ne pose pas de regard sexualisé sur eux: dans mon esprit, ce sont des enfants. Imaginez quand tout d'un coup, ce genre de choses se produisent: je ne l'ai pas vu venir... parce que j'en suis incapable, comme si c'était hors de propos, hors contexte. Par conséquent, ça heurte mon humanité encore plus violemment.

Donc, non seulement l'établissement n'a rien fait pour les protéger mais en plus les adultes censés les soutenir les ont culpabilisées, les adultes censés maintenir la justice n'ont toujours pas puni les coupables, l'institution entérine le discours d'oppression masculine et les pousse à bien intérioriser que quoi qu'il arrive, ce sera un peu de leur faute et qu'on n'a pas le droit de s'indigner et de s'élever contre les injustices.

Des collègues remontés... mais pas tous !

Dans mon collège, la salle des profs est divisée en deux. Même physiquement. Pour faire simple, il y a les gros lèche - dont la langue est si proche du cul du chef qu'on se demande où il commence et où ils finissent - qui diront amen à tout et trouveront toujours des excuses à la direction et puis il y a nous, le noyau dur.

Du côté des lèche, sans surprise, on a entendu des «oui... mais tu compreeeeends, faut faire attention avec les gaaaaarçoooons...»

Non, ta gueule. Il faut ÉDUQUER les garçons... pas DEMANDER AUX FILLES D'ÉVITER DE LES «PROVOQUER»

De notre côté, la situation provoque des remous indignés et, quoi qu'il se passe, au minimum, nous témoignerons notre soutient aux gamines. On a passé les deux derniers jours tendus comme des arbalètes. On réfléchit à des mesures à prendre même si certains, connaissant la direction, disent qu'il faudra avoir des témoignages directs et signés pour pouvoir faire quoi que ce soit.

Pour ma part, je pense à écrire un courrier collégial pour demander des explications à la direction... à minima.

Conclusion

Quand je pense au nombres de trucs qu'on nous demande de faire pour lutter contre le harcèlement... des cours, des discussions, des «journées tous contre le harcèlement», des expos, des intervenants extérieurs... pour finalement se comporter comme ça quand il s'agit de passer à l'action et de mettre tous ces bons sentiments en oeuvre...

Dire qu'on a même un «référent pour l'égalité fille garçons»... un copain du chef. Un gars dont plusieurs filles se sont plainte depuis des années des regards gênants qu'il leur lance et des «blagues» qu'il ferait... Quand je l'ai appris, j'ai failli m'étouffer.

Et en plus, quand on voit la dégaine de notre chef: pantalon micul, chemise sortie devant mais rentrée dans le boxer derrière, tâche de pisse au niveau de la teub (vision d'horreur de la prérentrée)... je me demande s'il est le plus à même de commenter la tenue vestimentaire de ses contemporaines.

Pourtant, si ces gens réfléchissaient, s'ils réfléchissaient VRAIMENT, il y a un bon début, une question tout simple à se poser pour commencer à chercher si on n'est pas dans l'erreur:

«est-ce que je réagirais pareil si c'était un garçon ?»

Parce que des gars qui arrivent avec un t-shirt moulant et dont on voit les tétons, on en a plein... Des mecs habillés en shorts dégueux avec des claquettes chaussettes à qui on ne fait aucune remarque, c'est tous les jours...

Et où est-ce que c'est écrit que les femmes DOIVENT OBLIGATOIREMENT porter un soutien-gorge ? Parce que si elles sont obligées pour qu'on ne voie pas leurs tétons, je veux - au nom de l'égalité des citoyens - que les garçons aussi en portent.

Pour ma part, je n'aimerais pas voir des croptops en classe. Mais pas pour les garçons non plus: j'estime qu'il y a des partie du corps de mes élèves que je n'ai pas à voir (et réciproquement). Qu'ils soient fille ou garçon. (j'ai encore le souvenir épouvanté de l'époque de la mode des frocs en bas du cul avec boxer dégueu qui dépasse)

Si on accepte le principe qu'on a le droit d'imposer et de commenter la tenue vestimentaire des filles mais pas celle des gars, pour arriver aux talibans, ce n'est qu'une question de curseur... (oui, je suis très en colère... mais je l'ai dit depuis le début)

J'espère que les prochains jours viendront nuancer mes propos et qu'en fait on me prouvera que tout a été largement exagéré... j'espère que bientôt je me dirai «t'as été con de sur réagir finalement, tu vois» J'espère que les prochains jours me donneront tort d'avoir posté ce billet sous le coup de la colère.

J'espère.

❝ 12 commentaires ❞

1  NBP le

Attention, point "Godwin express", comme ça ça sera fait:
"Oui, mais faut excuser les nazis, les nations victorieuses en 1918 leur avaient pris toutes leurs économies et découpé leur pays"


100% derrière vous et les gamines, 99% d'accord avec les propos exprimés. Le 1% restant est le retournement de critique sur l'attiffement du chef: qu'il soit correct ou pas celui-ci ne change rien à la situation (i.e. la critique serait la même avec un costard tiré à 4 épingles). Mais j'imagine que ça fait du bien...


Je pense que ces gamines devraient aller porter plainte (gendarmerie). Et si de ce côté, c'est le même accueil (parce qu'il y a aussi des gros lourds de ce côté), directement auprès du procureur de la République en joignant les éléments qui ont aussi dysfonctionné et les témoignages (élèves, profs, ...). Le seul truc que ce genre de chef craint, c'est un très gros marteau, pas une manif ou des pétitions.


Bon courage et tout mon soutien

 
2  Bronco le

«qu'il soit correct ou pas celui-ci ne change rien à la situation» oui, je n'ai rien sous entendu d'autre. Mais en plus il n'est même pas exemplaire en la matière ce qui discrédite tout commentaire vestimentaire de sa part. Il s'est pourtant permis de critiquer la tenue de collègues (sans préciser qui, bien entendu) en réunion. Ce jour-là, il n'est pas passé loin de se prendre un bourre-pif.

 
3  Dudu le

je ne supporte pas cette hypocrisie.
J'espère aussi que ces filles auront des excuses de la part des adultes qui déconnent à plein régime. Ta colère est justifiée. Bon courage pour la suite

 
4  Alice le

Wouah merci!
Le chemin est encore long, c'est sûr, mais ce genre de post donne un peu d'espoir
Bonne continuation

 
5  jecomprend le

Pour avoir travaillé dans un collége en REP+ (et j'en ai vu des choses !) ,
ce que tu décrit et surtout denonce est juste abjecte et encore c'est mou comme terme ! ,
je te soutiens moralement pour ton post et pour toute tes actions au sein de ton etablissment.
Courage.

 
6  dudu le

Hello,


D'après ce que tu racontes, je trouve ta colère justifiée.
J'espère que ton avis et celui de tes collègues seront écoutés et suivis.


C'est très hypocrite cette façon de faire porter la responsabilité sur des gamins (ou des individus en général).
Bref bon courage (et merci de témoigner, même sous le coup de la colère)

 
7  José le

Quitte l'Éducation Nationale, c'est un nid de lâches, une usine à propagande et ça fait 40 ans que ça dure. Le socialisme a tout détruit. Sauve-toi pendant que tu le peux encore !

 
8  Johnnybilliboy le

Wouha, c'est monté petit à petit en lisant ton post et là je suis bien vénère ! Colère seine mais fucking colère ! Ma fille est précisément en troisième et des fois je me dis qu'un bon coup pieds dan les burnes ça pourrait être pas mal (bah oui, je suis colère voilà tout)

 
9  Cyrille BORNE le

Dépôt de plainte à la gendarmerie. Dans mon établissement trois dépôts de plainte l'an dernier d'enseignants contre nos élèves. Bien sûr nous sommes dans un contexte différent, mais sachant désormais qu'il n'y aura pas de positionnement hiérarchique car de toute façon pas de vague, face désormais aux comportements les plus délirants, faut certainement en passer par là pour se faire entendre.

 
10  vinc[E] le

Comme d'habitude, pas de vagues, au lieu de régler les problèmes, ils divisent et noient le poisson. Moi l'année dernière, un élève que j'ai exclu de cours car foutait trop le bordel et empêchait les autres de travailler et sorti en me disant que j'étais un prof de merde et que mes cours c'était de la merde, et m'a balancé son carnet à la gueule, etc. J'ai fait un rapport et immédiatement été convoqué dans le bureau de la direction avec le proviseur + CPE. Et là, ça a été le discours classique, "oui mais tu sais, il a des problèmes familiaux, faut être gentil avec lui, ses parents sont en plein divorce, il est suivi par un éducateur, etc."
J'ai répondu à la direction "faîtes ce que vous voulez, moi je vais déposer plainte à la gendarmerie". Maintenant, faut plus se prendre la tête à passer par la direction, faut déposer plainte, se monter un dossier et au moindre pépins de santé, se mettre en arrêt pour se préserver. D'ailleurs, je suis monté trois fois voir la DRH académique pendant ma carrière, et on m'a ressorti la même phrase "vous n'avez pas à supporter l'insupportable, de plus vous avez une bonne mutuelle, mettez-vous en arrêt en cas de besoin", stratégie de camouflage et sans résoudre les problèmes ! Après plus de 25 ans, je n'ai plus la force de me battre contre le rouleau compresseur, du coup depuis 5 ans, chaque année, je prends 3 à 5 mois d'arrêt maladie pour me préserver, je suis simplement les consignes de la DRH, et je ne me prends plus la tête pour rien ni personne, je préserve au maximum ma santé physique et mentale.

 
11  Bronco le

Je reconnais là les discours entendus de mon côté: il faut être compréhensif gnagnagna. Un de mes potes a rétorqué un jour: «et vous serez compréhensif avec moi quand j'aurai mis une droite à l'un d'entre eux ?» Pas de réponse.


Comprendre, oui, excuser et passer sur tout non. Ne serait-ce que pour:



  1. l'égalité entre les citoyens (liberté EGALITE fraternité)

  2. le fait que l'éducation passe par le refus et, si nécessaire, la sanction ferme. Sinon, il y a non assistance à élève en danger...

 
12  vinc[E] le

Oh mais attends, tu ne connais pas la meilleure, je vais finir cette petite histoire. Au bout du compte, l'élève a eu 3 jours d'exclusion/inclusion (cela veut dire qu'il a fait son exclusion à l'intérieur du lycée) et se pavanait tel un pacha en se foutant de la gueule de tout le monde. Il devait aider les dames de la cantine pendant ces 3 jours et a même réussi à les faire chier, et elles ont même rédigé un rapport sur lui, quand à moi j'ai exigé qu'il me fasse des excuses avant de remettre les pieds dans ma classe mais le proviseur m'a dit "on ne peut pas demander des excuses, c'est à l'élève de le faire de lui même, nous ne sommes pas en droit d'exiger qu'il le fasse, etc.". Du coup, je lui avais répondu "commencez à chercher un remplaçant car je ne serai pas là jusqu'aux grandes vacances (5 mois)". Au final, dans l'EN, c'est toujours la même rengaine, pour protéger et satisfaire quelques-uns, on fout en l'air toute l'autorité et la légitimité de l'institution, c'est le grand bordel à tous les niveaux et le système et moisi jusqu'à l'os. Pour tes 2 élèves, c'est la même chose, on les incrimine et les culpabilise (ça ils savent bien faire), je pense qu'il faut que vous soyez nombreux à vous plaindre de cette situation pour espérer faire bouger les choses, mais comme tu l'as dit, il y a tellement de lèches-culs que c'est difficile de se faire entendre. J'aimerais avoir l'énergie de me battre, mais après 20 ans en banlieue parisienne (lycée pro + stmg), je n'ai plus de force, cela fait 5 ans que je suis revenu dans mon académie, mais je n'ai plus le goût de rien (la région parisienne m'as tuée), maintenant je profite juste de la vie, de ma famille au maximum et je me consacre à minimum pour l'EN. Je pense mettre par écrit tout ce qui m'est arrivé en 20 ans, ça va être long mais je mettrai le texte en ligne dès que possible.

 

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